Ceci est la traduction en français du texte de @dergigi The Freedom of Value - How Value-for-Value Fixes the Monetization of Information. Il est placé, à l'instar du texte original, sous licence CC BY-SA 4.0.

Internet a un problème. Peu de gens sont conscients que ce problème existe, mais après tout, c’est la nature même des problèmes importants mais subtils : ils sont invisibles jusqu’à qu’ils ne le soient plus. Le problème avec internet est que l’information veut être libre. Et quelque chose qui veut être libre (comme dans liberté), si on lui laisse assez de temps, finira également par être libre (de droits) : gratuit.

Laissez-moi m’expliquer.

Un Poison dans l’Air

Nous consommons des volumes de données gigantesques chaque jour. Chaque seconde de chaque minute, bits et octets affluent au travers de l’enchaînement de tuyaux que nous connaissons et aimons tous: internet. Nous le prenons pour acquis, et la plupart d’entre nous prend également le modèle de monétisation actuel – ainsi que tous les maux qu’il amène – pour acquis. A peine nous arrêtons-nous parfois un instant pour penser au bizarre monde des octets et des bits. Quelle merveille que ce monde, mais quelle étrangeté aussi. Quel incroyable degré de transformation il a déjà imprimé sur nos vies, et quelles transformations futures il nous réserve encore. D’où viennent ces zéros et ces uns ? Comment ce monde fonctionne-t-il ? Et plus important encore : qui paie pour tout cela ?

Les bits et les octets qui filent dans nos fibres optiques sont aussi invisibles que l’air que l’on respire. A la réflexion, ce n’est pas une si terrible métaphore. Aussi longtemps que notre respiration est aisée, nous n’avons nul besoin de nous arrêter et d’inspecter chaque molécule que nous inhalons. De même, aussi longtemps que la création et la consommation de contenu digital n’est pas trop difficile, nous n’avons pas besoin de nous arrêter pour considérer les divers mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement de notre économie de l’attention.

Economie de l’attention. Une trop fidèle description. Comme nous le savons tous aujourd’hui, ce que nous consommons n’est pas gratuit ; nous le payons à prix d’or : avec notre attention, entre autres choses.

Prêter Attention

Dans le monde toujours plus rapide qui est le nôtre, maximiser les profits revient à maximiser l’attention. Mais il s’agit d’une attention particulière, distraite. Ce n’est pas l’attention acérée qui permet des conversations soutenues et des réflexions profondes. Je pense que c’est, au moins partiellement, pourquoit tant de choses sont aujourd’hui cassées. Que c’est pourquoi notre discours sociétal est si fragmenté, nos politiques si polarisées, nous-mêmes tant paralysés, et notre analyse si souvent aussi étroite que nos désirs.

L’économie de l’attention nous maintient tous fermement séparés dans des chambres d’écho aux vérités singulières. Ironiquement, la seule vérité d’intérêt dans l’économie de l’attention est la science nécessaire pour garder un maximum de personnes dans un état d’indignation maximale pour un maximum de temps. Le tout, tout en maintenant ces personnes dans l’ignorance de la prison algorithmique dans laquelle elles sont piégées.

Vous Êtes Le Produit

Le proverbe “si quelque chose est gratuit, c’est que c’est vous le produit” ne saurait être trop répété. Pour quelque raison que ce soit, nous attendons de la plupart des choses que nous trouvons sur internet qu’elles soient gratuites. Bien sûr, il n’y a pas de “repas gratuit”. Dans le cas des services en ligne, vos données sont récoltées et vendues au plus offrant, qui est généralement une agence de publicité ou gouvernementale. Ou les deux.

Non seulement toutes les entreprises de big data vous espionnent, mais elles utilisent également une multitude de dark patterns et de pratiques sans éthique pour extraire chaque once de données de vos interactions. Qu’il s’agisse de Facebook Pixel, de Google Analytics ou de quelque chose d’autre importe peu. Vous êtes traqués, surveillés, et catalogués. Ce que vous voyez, pour combien de temps, à quel moment, à quelle fréquence, et ce que vous verrez ensuite, est minutieusement orchestré par des algorithmes dont le but est de maximiser le profit. Celui de la plateforme, pas le vôtre.

Bien entendu, l’idée est que cela profite généralement à tous : utilisateurs, créateurs, et plateformes. Cependant, l’environnement évolutionnaire ainsi créé par ces structures d’incitatifs sélectionnera bien souvent les contenus peu profonds, accrocheurs et sensationnalistes. A l’heure de l’écriture de ces lignes – bloc 716 025 –, l’incarnation d’un tel environnement est TikTok, une machine à dopamine joueuse de vidéos, qui vous montrera l’équivalent en images animées d’un mélange d’héroine et de crack. Des drogues dures pour l’esprit, taillées sur mesures pour vos goûts personnels. Une application maudite. Malheureusement, la plupart des plateformes de ce type ne diffèrent que par degré, pas par nature.

Opinion Autorisée

“Ce n’est pas si mal”, nous disons-nous. “Regarde toute l’information utile !”, nous exclamons-nous comme nous scrollons à travers nos fils d’actualité, nourrisant par inadvertance la machine qui nous abreuve en retour de dopamine.

Mais ne vous y trompez pas : les entreprises en charge n’ont pas pour modèle d’affaire l’apport d’informations utiles (ou vraies). Leur commerce est de nous amener par tromperie à nourrir la machine.

Comment pourrait-il en être autrement ? On est ce qu’on surveille, et on devient ce pour quoi on optimise. Du point de vue des plateformes, ce sont les clics, pas la qualité. A première vue, maximiser les clics et la durée de visionnage peuvent sembler une innocente affaire. Après tout, il faut faire ce qu’il faut pour survivre. Ce n’est qu’une publicité. Quel mal cela peut-il faire ?

Malheureusement, les problèmes qui en découlent sont invisibles au début. Tout comme le cancer est invisible au fumeur à l’heure de sa première cigarette, tout comme la cirrhose est invisible au buveur qui prend son tout premier verre, la “déplateformation”, la censure, la polarisation et la manipulation de l’opinion publique sont invisibles au prosommateur qui vient de voir sa première publicité au sein d’un écosystème cloisonné. Nous pouvons certainement nous accorder quant au fait que nous sommes au-delà des premiers signes quant à ces problèmes. La censure est la norme, la déplateformation est encensée, la polarisation est à un plus-haut historique, et l’opinion publique est manipulée, manuellement et algorithmiquement, comme elle ne l’a jamais été auparavant.

Le consensus est que vous être trop idiot pour savoir ce qui est bon pour vous, et votre opinion trop outragière pour être exprimée publiquement. Pire encore, cela ne devrait pas être votre opinion, en premier lieu. “Voici pourquoi vous avez tort. Voici une source vers une opinion autorisée. Voici quelques experts qui sont d’accord avec nous. Nos si utiles et si intelligents algorithmes se sont occupés de la réflexion pour vous, et ils n’ont jamais tort. Et les experts non plus.”

Tel est déjà le monde où nous vivons aujourd’hui. Vous n’êtes pas autorisé à parler librement. Vous n’êtes pas autorisé à penser librement. Vous n’êtes pas autorisé à vous exprimer librement. Votre photo est offensante ; elle a donc été retirée. Votre meme est trop proche de la vérité, ou trop criminellement drôle ; nous devons donc vous exclure de Twitter pour une semaine ou deux. Vous dîtes quelque chose avec quoi nous sommes en désaccord ; nous sommes donc dans l’obligation de vous bannir à vie – fussiez-vous un président en exercice. Vous avez prononcé le mot qu’il ne fallait pas dans une vidéo, ou joué une chanson sous copyright en musique d’ambiance ; nous devons donc prendre votre revenu. Vous avez publié une photo de vous sans masque ; nous devons vous bannir et vous signaler aux autorités1.

Le fait que la phrase ci-dessus ne soit dorénavant plus complètement du ressort de la science-fiction dystopique devrait inquiéter chacun de nous. Expulsé du cyberespace pour avoir voulu vivre libre. Drôle d’époque.

Pression d’Évolution

Comment en sommes-nous arrivés là ? Si je devais donner une réponse courte, ce serait celle-ci : nous sommes passés de protocoles à des plateformes, et les plateformes ne sont jamais aussi bonnes que leurs incitatifs.

La structure incitative des plateformes que nous habitons est celle d’un environnement évolutionnaire qui dicte la survie. Qui veut survivre doit s’y aligner.

Bien sûr, cela est vrai pour tous les domaines d’affaires. Prenez les magazines papier, par exemple. Pour des raisons relatives à l’évolution humaine, si votre magazine ne présente pas une belle figure féminine sur sa couverture, il ne sera pas autant acheté que ceux qui le font. En conséquence, il ne sera pas en mesure de se répliquer, et finira par mourir. De la même façon, si votre média en ligne ne génère pas suffisamment de revenu publicitaire, il échouera à se reproduire et mourra. C’est pourquoi chaque magazine a le visage d’une jolie femme en couverture. Et c’est pourquoi chaque média en ligne vivant de la publicité se résout au “piège à clics”.

L’un de ces visages n’est pas comme les autres.

L’un de ces visages n’est pas comme les autres.

Similairement, cela explique pourquoi les algorithmes à base de fils d’actualité deviennent des machines à sous pour vos récepteurs de dopamine. Plus longtemps vous restez scotché à votre écran, plus vous verrez de publicités, et plus de revenu sera généré pour la plateforme. Cela explique également pourquoi la plupart des chaînes YouTube publient des vidéos de 7 à 15 minutes, avec des miniatures représentant le visage de quelqu’un qui viendrait de marcher sur un Lego. Suffisamment courtes pour vous convraincre de les regarder, mais suffisamment longues pour que vous oubliiez entre temps ce pourquoi vous étiez initialement venu. Tels des rats appuyant sur les boutons d’une machine de Skinner ultra-personnalisée, nous sommes enfermés dans des cycles d’addiction pour maximiser les revenus des actionnaires.

Maximiser les Profits

Les plateformes sont des entreprises, et les entreprises sont incitées à maximiser le revenu des actionnaires. Il n’y a rien de mauvais aux profits, et rien de mal avec les actionnaires. Cependant, je pense que la révolution de l’information dans laquelle nous nous trouvons a divisé le payasage évolutionnaire en deux. Appelons ces deux régions “vaste” et “étroite”.

Pour maximiser les profits au travers de publicités de masse, controverses et opinions extrêmes doivent être tenues au minimum. Ainsi, en se résolvant au plus petit dénominateur commun, la politique et la censure entrent immédiatement en jeu. A l’inverse, si les profits proviennent de publicités étroitement ciblées, alors controverses et opinions extrêmes doivent être exacerbées. Ainsi, simplement en montrant deux informations différentes à deux sous-groupes différents, la polarisation et la fragmentation sont continuellement accrues.

Cohésion orchestrale vs Division algorithmique.

Cohésion orchestrale vs Division algorithmique.

Ces deux extrêmes sont les deux faces d’une même pièce. Il peut sembler qu’il s’agisse de la télévision contre les algorithmes de fils d’actualité, mais il s’agit en fait de deux approches différentes servant le même objectif : scotcher un maximum de personnes à l’écran, pour qu’elles regardent autant de publicités que possible. La première approche est un sédatif, la seconde un stimulant.

Certes, la description ci-dessus est peut-être exagérée. Mais le problème demeure : si nous ne payons pas directement pour quelque chose, alors nous paierons indirectement, d’une manière ou d’une autre. C’est toujours le cas.

Le point est le suivant : des plateformes où l’expression est libre ne peuvent pas exister. Seuls des protocoles où l’expression est libre le peuvent. Si quelqu’un est en mesure de contrôler ce qui est dit, alors quelqu’un controlera ce qui est dit. S’il est possible de surveiller, filtrer et censurer les contenus, alors les contenus seront surveillés, filtrés et censurés.

Toutes les plateformes rencontreront ces problèmes, peu importe combien leurs intentions peuvent être pures. Même si vous vous positionnez en tant que plateforme pro liberté d’expression au début, vous serez forcé de vous résoudre à la censure sur le long terme. Après tout, s’il est possible que vous soyez écrasé par l’État en raison de contenu que vous hébergez ou transmettez, vous serez écrasé par l’État pour du contenu que vous hébergez ou transmettez.

Auto-Censure

Reste que, bien avant que la censure d’État ne dresse son ignoble gueule, l’effet glaçant de l’auto-censure se fera sentir. A la vue de la déplateformation et de la démonétisation de certains en raisons des opinions qu’ils ont exprimées, la plupart des gens prendra garde de n’exprimer ces mêmes opinions, fussent-elles partagées. Consciennement ou non, nous nous reduisons lentement nous-mêmes au silence.

S’agissant d’auto-censure, les publicités ont également un rôle à jouer.

Après tout, nul ne songerait à mordre la main qui le nourrit. Dans le cas le pire, publicitaires et exécutifs vous diront ce qui peut être dit et ce qui est hors-limites. Ils vous diront quelles opinions sont à l’intérieur de la fenêtre d’Overton et lesquelles n’y sont pas. Et s’ils ne le font pas, vous tenterez de l’estimer vous-mêmes et ajusterez vos propos en conséquence.

Un Problème et un Paradoxe

Retournons à notre problème originel : pourquoi ne pouvons-nous pas vendre l’information comme une marchandise classique ? Pourquoi l’approche simpliste – placer le contenu derrière un paywall – produit-elle de si mauvais résultats ? Je crois qu’il y a deux raisons à cela, que j’appelle le “Problème MTX” et le “Paradoxe DRM”.

Le Problème MTX (où MTX est l’abréviation de “transaction mentale”, mental transaction en anglais) désigne l’irréductible coût mental des transactions, inhérent à chaque transaction. A chaque fois que vous tombez sur un paywall, vous devez prendre une décision consciente : “Suis-je prêt à payer pour ça ?”.

Comme Szabo le souligne de manière convaincante, la plupart du temps, et notamment si le montant est petit, la réponse sera “non”. Il ne s’agit pas d’une quelconque raison technologique, mais de raisons psychologiques. Il s’avère que le tracas consistant à déterminer si une transaction vaut le coup ou non – un process interne, ayant lieu dans votre tête – est trop important. S’il faut peser le pour et le contre pour chaque micro-transaction, la probabilité que vous procédiez effectivement au paiement diminue fortement. C’est notamment ce qui explique le règne des forfaits et abonnements : il n’est nécessaire d’y réfléchir qu’une seule fois.

Pour les transactions les plus minuscules, c’est également vrai ne serait-ce que d’un point de vue économique. En considérant un salaire horaire de 20 dollars américains, se demander “cet article vaut-il 21 sats ?” pendant deux secondes vous coûtera un peu plus d’un cent, et donc bien plus que le montant de la micro-transaction en elle-même2. C’est impossible, aussi bien psychologiquement qu’économiquement. Voici, en quelques mots, le Problème MTX.

Mais ce n’est pas le seul élément qui pèse sur la monétisation du contenu numérique. Comme mentionné plus haut, il y a aussi le Paradoxe DRM.

DRM est le sigle de “Digital Rights Management” (Gestion des Droits Numériques), un effort futil tentant d’empêcher l’information d’être copiée. Evidemment, le simple concept d’information non-copiable est oxymorique mais, malheureusement, à l’ère des NFTs et autres contresens, j’ai bien peur qu’il ne soit nécessaire d’en détailler la raison. La voici : il est impossible de créer de l’information qui ne puisse pas être copiée. Point. Ou, en utilisant les mots de Bruce Schneier : “essayer de rendre des fichiers numériques incopiable revient à essayer de rendre l’eau non-mouillée”.

La nature de l’information elle-même est telle que, si elle peut être lue, alors elle peut aussi être copiée – à l’identique. Nulle illusion, nulle restriction artificielle, ne saurait changer ce fait. C’est pourquoi les oeuvres numériques comme des films ou des morceaux de musique seront toujours disponibles gratuitement. Il est trivial pour quelqu’un ayant accès à ces oeuvres de les copier, avec un coût marginal proche de zéro, et de les rendre accessibles à tous. Ainsi, au bout d’un certain temps, et à condition qu’elle soit suffisamment populaire, toute oeuvre (film, chanson), et même tout document, sera accessible gratuitement au grand public. La nature de l’information ne permet pas d’autre issue. En découle le proverbe : l’information veut être libre.

Bien qu’essayer de créer quelque chose qui n’existe pas – de l’information qui ne peut pas être copiée – est paradoxal en lui-même, ce n’est même pas ce que je veux signifier par le terme de “Paradoxe DRM”. Ce que j’ai en tête est encore plus amusant. Encore une fois, ce n’est même pas de nature technologique, mais psychologique. Le paradoxe est le suivant : du contenu ne restera coincé derrière un paywall que s’il est merdique. S’il est bon, quelqu’un le libérera.

Nous le savons tous. Si un article est intéressant, quelqu’un se trouvant derrière la paywall en prendra des captures d’écran et les postera sur les réseaux sociaux. Si un film vaut le coup d’être vu, il sera accessible gratuitement sur divers site de streaming. Seuls les articles les plus insipides, les films les plus inregardables, les chansons les plus à même de nous faire saigner les oreilles, resteront coincés derrière leurs paywalls. D’où le paradoxe : le contenu numérique ne restera derrière son paywall que s’il est mauvais. S’il est bon, il sera rendu libre.

Personnellement, je suis d’avis que le Problème MTX est plus impactant que le Paradoxe DRM. La solution traditionnelle au Problème MTX est le modèle par abonnement, à la Netflix, Spotify, Amazon, et ainsi de suite. Le Paradoxe DRM demeure, mais il se révèle n’être pas un si grand problème si l’accès “légitime” au contenu est suffisamment simple.

Le coût d’opportunité associé au fait de télécharger, stocker, maintenir et conserver une collection privée de chansons est tout simplement trop élevé pour la plupart des gens. La solution la plus pratique est de payer ce fichu abonnement Spotify.

Ceci étant dit, nous pouvons d’ores et déjà identifier l’un des problèmes inhérents au modèle par abonnement. La planche suivant le décrit bien :

Comic par /u/Hoppy_Doodle

Comic par /u/Hoppy_Doodle

La prolifération des plateformes de streaming vous force à souscrire un abonnement Netflix, un abonnement Amazon Prime, un abonnement Hulu, un abonnement Disney Plus, un abonnement YouTube Premium, etc. Et cela juste pour le streaming vidéo. Le même bestiaire d’abonnements existe pour la musique, les livres, les jeux, les newsletters, les articles de blog, etc.

Mais alors, quelle est la solution ?

Accepter la Nature de l’Information

La solution commence par l’acceptation. Vendre du contenu numérique suivant le modèle transactionnel traditionnel ne fonctionne pas, ou en tout cas ne fonctionne pas très bien. Une transaction impliquant une photographie numérique d’une pomme est bien différente d’une transaction impliquant une véritable pomme physique.

George Bernard Shaw le disait si bien : “Si nous avons chacun une pomme et que nous les échangeons, vous et moi avons toujours une seule pomme. Mais si vous avez une idée et que j’ai une idée, si nous les échangeons, alors chacun de nous a maintenant deux idées”.

Parce qu’une information numérique se comporte comme une idée, il n’y aucune raison de la rendre artificiellement rare. Cela n’est pas seulement vrai philophiquement, mais aussi techniquement. Les ordinateurs sont des machines à copier. Ils l’ont toujours été, et le seront toujours. Le seul moyen de déplacer de l’information d’une machine à une autre et de la copier. Ce simple fait devrait suffire à rendre évident combien il est futile de s’échiner à traiter l’information comme un objet physique.

S’agissant de monétiser l’information au sein d’un web ouvert, il nous faut aligner nos façons de penser avec la nature de l’information. Comme souligné plus haut, l’information est abondante, facilement copiée, et désire être libre.

Je crois que le bon modèle de monétisation doit respecter ces valeurs, et qu’il est donc nécessaire qu’il présente des propriétés similaires. Il doit être ouvert, transparent, extensible et, enfin et surtout, complètement volontaire.

Ce modèle a un nom : valeur-pour-valeur.

Ressusciter le Spectacle de Rue

L’idée est assez simple mais semble radicale : vous fournissez votre contenu gratuitement pour tout le monde, sans aucune restriction d’accès. Si les gens l’apprécient, s’ils en retirent de la valeur, vous rendez facile pour eux l’action de vous rendre la valeur en retour.

Cela peut sembler étrange à notre époque, mais ce modèle a fonctionné pendant des millénaires. C’est le modèle des artistes de rues, celui du don volontaire. Cependant, dans le cyberespace, nous ne devons pas faire face aux limitations physiques de la performance de rue traditionnelle. Le contenu numérique se distribue à une échelle à laquelle les performances de rues ne pourront jamais prétendre.

Le modèle de valeur-pour-valeur renverse complètement le modèle traditionnel. Traditionnellement, la jouissance suit le paiement. Dans le modèle de valeur-pour-valeur, le paiement suit la jouissance – volontairement.

Chacun est libre d’écouter un musicien de rue et simplement s’éloigner mais, et c’est quelque chose que le public sait intuitivement, il est nécessaire jeter quelques pièces dans le chapeau si l’on veut que la musique continue.

La beauté de ce modèle est que, entre autres, il réaligne les incitatifs. Vous n’essayez pas de maximiser les clics, ou la durée de visionnage, ou toute autre métrique absurde. Non, vous essayez d’apporter de la valeur à votre public. C’est tout. Et si le public en retire effectivement de la valeur, un certain pourcentage donnera de la valeur en retour. Il vous suffit de demander.

Une Alternative Bénéfique

Nous ne sommes encore qu’au début de ce changement monumental. J’espère que le modèle de valeur-pour-valeur continuera d’émerger comme une alternative viable – une alternative aux publicités, à la censure, à la déplateformation et à la démonétisation.

Le modèle de valeur-pour-valeur retire le “ils” de l’équation. Ils filtrent, ils censurent, ils démonétisent, ils déplateforment. L’identité qui se cache derrière le “ils” n’importe même pas. S’il existe un “ils”, ils trouveront un moyen tout foutre en l’air.

Le modèle de valeur-pour-valeur retire le “ils”, et vous met en responsabilité. Vous êtes le régent d’un royaume d’un seul, seulement responsable de vos pensées et de vos paroles. Si nous voulons obtenir la libération (et le salut) dans le cyberespace, nous devons remettre les individus en responsabilité. Comme toujours, la liberté et l’indépendance nécessitent la reponsabilité.

Dans le meilleur des mondes, les créateurs sont incités à ne s’occuper de rien d’autre que de créer. Ils ne s’adressent qu’à eux-mêmes et à ceux qui s’intéressent à leurs créations. Sans intermédiaire. Directement, de personne à personne, valeur pour valeur.

Le Chemin Devant Nous

Il faut en convenir, il n’est pas simple aujourd’hui d’auto-héberger son infrastructure. Il peut être intimidant de faire tourner son propre noeud afin de recevoir des paiements de façon souveraine. Mais, non seulement cela deviendra-t-il de plus en plus facile ; cela deviendra également de plus en plus nécessaire.

En plus de faciliter tout cela, nous devons être conscients du Problème MTX décrit plus haut. Chaque étape qui réduit un peu plus le surcoût mental des transactions dans l’écosystème valeur-pour-valeur est un pas dans la bonne direction.

Podcasting 2.0 représente un tel pas en avant. Ce protocole permet et automatise l’envoi de paiements à la minute, sans qu’aucune interaction supplémentaire ne soit nécessaire pour l’utilisateur. Une fois que tout est mis en place, votre wallet se charge de faire les paiements automatiquement.

Je crois que de futures itérations de cette idée pourront être intégrées dans tous types de médias, qu’il s’agisse d’audio, de vidéo, d’images, de textes, et ainsi de suite. Je pense que nous ne sommes plus très loin de l’équivalent protocolaire d’un Patreon : tous les bénéfices venant de la réduction des surcoûts mentaux, sans la friction et la censure inhérentes à de telles plateformes. Il reste à voir si cela viendra au travers des paiement récurrents amenés par BOLT12 ou de quelque chose d’autre. Je reste cependant confiant dans le fait que tout ceci viendra en son temps.

Conclusion

Non seulement notre monnaie fiduciaire est cassée, mais le modèle de monétisation d’Internet l’est aussi. Les plateformes publicitaires de notre époque optimisent l’engagement par la division et la polarisation, en recourant aux dark patterns et à l’addiction par conception. Il ne sera pas facile de sortir des boucles de compulsion mises en place et taillées spécifiquement pour nous mais, grâce aux technologies d’auto-souveraineté qui émergernt aujourd’hui, il existe enfin une alternative viable : le modèle de valeur-pour-valeur.

Le modèle de monétisation “au chapeau” a fonctionné pendant des siècles et, grâce à Bitcoin et au Lightning Network, j’ai bon espoir qu’il fonctionnera pour les siècles à venir. Nous y sommes presque. Nous devons seulement déterminer comment positionner le chapeau, et quelles sont les meilleurs coins de la ville pour accueillir nos performances.

Le modèle de valeur-pour-valeur élimine complètement le Paradoxe DRM et, avec le bon niveau d’automatisation, viendra également à bout du Problème MTX. Si nous y parvenons, si nous faisons bien les choses, nous pourrions bien parvenir à nous libérer des plateformes évolutionnaires où seul survit le plus riche, nous permettant d’embrasser le royaume, presque immortel, des protocoles.

Il reste encore bien des choses à explorer, bien des outils à construire, et de nombreuses préconceptions à abattre. Un changement de paradigme d’ampleur sismique se déroule sous nos yeux, et je me rejouis d’en dompter les vagues à vos côtés. En avant !

Ressources Complémentaires

Pour aller plus loin (en anglais)

Image de couverture originale par Gonzalez85. Licence CC BY-SA 4.0.


  1. La présence de cette phrase sur les masques (et, d’une certaine manière, mon opinion en la matière) dans ce paragraphe réduira probablement de manière significative l’audience qui partagera ce texte. Si je devais optimiser pour le “nombre de personnes qui liront ce texte”, la retirer serait le choix intelligent. L’ironie de la chose ne m’échappe pas. ↩︎

  2. Heure de Moscou 21:09 @ 716,411. ↩︎